Celia Celia Haig-Brown est une ethnographe eurocanadienne engagée dans une recherche et une pratique respectueuses et réciproques. Son premier ouvrage (1988), une ethnographie rétrospective des pensionnats autochtones de Kamloops (KIRS), est basé sur des entretiens avec d’anciens pensionnaires. Une nouvelle édition mise à jour, ղܳí: The Kamloops Indian Residential School, Resistance and a Reckoning, réalisée avec des collaborateurs autochtones, a été lancée le 30 septembre 2022 sur le site de Tk’emlups te Secwepemc, en Colombie-Britannique. Elle a coréalisé deux documentaires avec les enfants et les petits-enfants des étudiants du KIRS. Son récent film Listen to the Land traite des complexités de l’engagement de la Nation Naskapi envers la terre et le caribou dans la réalité de l’exploitation minière à ciel ouvert (). Elle a terminé deux tournages pour son prochain film, Rodeo Women: Behind the Scenes ()
Depuis les années 1980, vous effectuez des recherches sur l’histoire des Autochtones au Canada et sur les luttes menées par les communautés autochtones contre le racisme colonial et la violence qui y est associée. Qu’est-ce qui vous a attirée vers ces préoccupations et vous a conduite à entreprendre des recherches, à écrire et à réaliser des films documentaires dans ce domaine? Pouvez-vous me dire comment ces questions sont perçues différemment aujourd’hui par rapport à l’époque où vous avez commencé à les étudier, il y a 40 ans?
J’ai été élevée (et j’aimerais ajouter très bien élevée!) dans une famille qui m’a appris à respecter les peuples autochtones et qui m’a aidée à comprendre la colonisation et l’appropriation des territoires autochtones. C’est ce que j’ai toujours compris. Mais les recherches que j’ai menées dans les années 1980 ont été le fruit des amitiés que j’avais nouées, notamment avec les gens du rodéo, et des personnes avec lesquelles je travaillais à l’Université et qui m’ont raconté leurs expériences dans les pensionnats.
J’ai notamment travaillé avec des personnes impliquées dans un programme de l’Université de Colombie-Britannique appelé « The Native Indian Teacher Education Program », aujourd’hui connu sous « Indigenous Teacher Education Program », qui aide les professeurs à intégrer les modes de connaissance autochtones en classe. C’est grâce à ces amitiés et à mon travail que j’ai entendu les récits de personnes ayant fréquenté les pensionnats. Et je dois dire que dans les années 1980, personne n’en parlait.
J’en ai entendu parler lors de conversations nocturnes après des rodéos avec une amie nommée Julie Antoine, qui est toujours mon amie après toutes ces années. Et je me suis dit : « Si je ne connais pas ces histoires, alors qui d’autre les connaît? » Je n’avais lu de tels récits nulle part ailleurs. J’ai alors décidé de mettre l’accent sur les personnes qui avaient survécu aux pensionnats et qui vivaient pleinement leur vie aujourd’hui. Ces personnes étaient retournées à l’école, s’étaient impliquées dans le rodéo de diverses manières, allaient faire carrière dans l’enseignement et avaient reconstruit leurs familles déchirées par les pensionnats. J’ai donc tenu à parler de la résistance dont les gens ont fait preuve.
Il s’agit d’un élément fondamental de l’histoire des pensionnats, de la force des peuples autochtones à cette époque, parce qu’ils — ou leurs parents, ou leurs grands-parents — ont survécu à ces horreurs. Dans certains cas, ces gens se sont épanouis au pensionnat, en raison de la façon dont ils y sont arrivés et de la façon dont ils ont été préparés par leurs parents. Mais c’est de cet enracinement dans leur propre famille, dans leur propre communauté, que vient leur force pour résister à la colonisation et aux expériences vécues dans les pensionnats.
Votre film Pelq’ilc (Coming Home) (2009) se concentre sur la vie des enfants et des petits-enfants des survivants du pensionnat de Kamloops. Dans ce film, comme dans la plupart de vos autres œuvres, vous abordez la question du traumatisme intergénérationnel causé par la longue histoire du colonialisme au Canada. Compte tenu de cette longue histoire de violence à l’encontre des peuples autochtones, pensez-vous qu’une réconciliation soit possible? Quelles sont les étapes nécessaires à la guérison de nos relations avec les peuples autochtones?
Dans mon travail, je ne me concentre pas spécifiquement sur le déchirement des traumatismes intergénérationnels, mais plutôt sur la survie et la survivance, c’est-à-dire le « sens actif de la présence, la continuité des récits autochtones… » et le refus de répéter les histoires de « domination, de tragédie et de victimisation », comme l’écrit Gerald Vizenor (2010). Mon premier livre s’intitulait Resistance and Revewal: Surviving the Indian Residential School (Haig-Brown 1988). Il a été publié en 1988 et est toujours en cours d’impression; nous en sommes donc à quelque 16 000 exemplaires. Il a été repris par des personnes au sein de communautés et d’organisations extérieures à l’université, tout en étant enseigné en son sein. J’apprécie le fait que le travail aille dans les deux sens, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté et à l’intérieur et à l’extérieur du monde universitaire.
« Je ne veux pas passer mon temps, comme on dit, à “regarder les gens se vider de leur sang”. Je ne trouve pas ça utile. »
Celia Haig-Brown
è Resistance and Renewal, j’ai écrit deux ouvrages publiés par University of British Columbia Press : Taking control: Power and Contradiction in First Nations Adult Education (1995) et Making the Spirit Dance Within: Joe Duquette High School and an Aboriginal Community (1997). J’avais écrit plusieurs chapitres, comme « Border Work » dans Native Writers and Canadian Writing (1990), mais ils n’avaient pas le même lectorat que Resistance and Renewal. Je me suis dit que si je me tournais vers le cinéma, je mettrais ce travail à la disposition des gens dans leurs communautés, et c’est ce qui est important pour moi. Je veux que mon travail à l’université soit utile aux communautés.
Mais plutôt que de me concentrer sur la douleur des traumatismes intergénérationnels, que ce soit dans mes livres ou dans mes films, je me concentre sur la force de la survie et de l’épanouissement intergénérationnels. Dans ce film et dans un film d’accompagnement intitulé Cowboys, Indians and Education (2012), l’accent est mis sur les nombreux Autochtones qui apportent leur force dans la famille, à l’école, etc. afin de régénérer les savoirs et les langues autochtones. La subvention accordée à ce film par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) était précisément axée sur cette question : la régénération de la langue et de la culture. C’est là-dessus que je me concentre. Je ne veux pas passer mon temps, comme on dit, à « regarder les gens se vider de leur sang ». Je ne trouve pas ça utile.
En ce qui concerne la réconciliation… Tout d’abord, nous savons maintenant que le mot réconciliation est très problématique. Cela suggère qu’à un moment donné, il y a eu une relation de conciliation. La relation entre les colonisateurs et les peuples autochtones a été marquée par le vol, la perturbation de la culture, le fait d’expliquer aux gens qu’ils sont moins que des êtres humains en raison de leurs pratiques spirituelles, de leur mode de vie, etc. Nous devons vraiment repenser la notion de réconciliation.
L’étape la plus importante est que les non-Autochtones écoutent les Autochtones; il faut qu’ils se taisent et qu’ils écoutent les personnes qui s’expriment, qu’ils écoutent vraiment. Écoutez les balados et les films réalisés par des artistes, des cinéastes et des auteurs autochtones. Lisez les textes autochtones rédigés par de nombreux universitaires autochtones. Une mine d’informations est disponible dans tous les espaces que vous pouvez imaginer, de l’Internet à la bibliothèque et dans tous les espaces intermédiaires : il suffit de chercher pour trouver.
Votre dernier film, Listen to the Land (2018), porte sur la lutte de la Nation Naskapi pour honorer et renouveler sa culture tout en restant impliquée dans l’exploitation minière à ciel ouvert. Vous utilisez le cinéma pour montrer la coexistence, mais aussi les tensions, entre les modes de vie traditionnels et les coûts écologiques et sociaux de l’exploitation minière. En tant qu’universitaire, pourquoi avez-vous choisi d’explorer ces questions dans un film plutôt que dans un livre ou un article?
Quand je suis devenue professeure titulaire, j’ai eu l’impression de pouvoir prendre la direction qui me convenait le mieux pour mes travaux scientifiques. Parfois, l’université est très conventionnelle dans ce qu’elle considère comme de l’érudition. La situation s’est améliorée et l’on reconnaît un peu mieux que les travaux d’érudition et les résultats des personnes qui font de la recherche peuvent prendre diverses formes, mais j’avais l’impression que : « Maintenant, je peux vraiment faire ce que je veux. ».
J’avais réalisé les deux autres films avec les habitants de Kamloops et je suis allée voir la Nation Naskapi. J’y suis allée dans le cadre d’un projet de recherche plus vaste avec le regretté Wesley Cragg, de l’École Schulich des hautes études commerciales, qui travaillait avec le Canadian Business Ethics Research Network et qui m’avait demandé de venir dans le nord du Québec pour rencontrer les Naskapis. Je n’aime pas me présenter en disant : « Je viens ici pour faire de la recherche! » J’ai donc pris le temps d’apprendre à connaître l’école. Wes m’avait demandé de venir travailler à l’école parce que je fais partie de la Faculté des sciences de l’éducation.
Une fois que je suis arrivée à Kawawachikamach — qui est le nom de la communauté —, il est devenu évident qu’il s’agissait d’une communauté très importante pour remettre en question les stéréotypes sur les communautés nordiques et les luttes qu’elles mènent. Cette communauté est très bien positionnée. Elle s’est engagée dans l’exploitation de mines à ciel ouvert afin de maintenir son économie et de pouvoir rester dans le Nord et prospérer. Elle gère principalement l’industrie secondaire liée aux mines, et s’occupe donc de l’entretien de l’aéroport, des routes, etc. Elle vit cette contradiction entre l’exploitation minière à ciel ouvert et son attachement à sa culture traditionnelle : par exemple, 96 % des membres de la communauté parlent couramment leur langue.
« J’aime la capacité qu’a le cinéma de dépasser les frontières du monde universitaire. »
Celia Haig-Brown
Leur école est depuis longtemps une école provinciale. Contrairement aux communautés qui ont eu des externats ou des pensionnats dans le passé, la communauté a le contrôle de son école. Quand vous parcourez les couloirs de l’école, vous entendez tout le monde parler le naskapi : les personnes qui répondent au téléphone, celles qui sont au bureau, etc. Quand on ne parle que l’anglais, c’est un peu pénalisant et c’est un beau renversement de la situation habituelle.
J’ai pensé qu’il était important de faire connaître la communauté et de remettre en question les stéréotypes. è avoir approché le chef et le conseil pour leur faire part de mon projet, j’ai été surprise par leur réception à l’idée d’un film. Ce n’est qu’après le lancement du film — nous étions en fait à un lancement à l’Université app— que j’ai dit au chef : « Je ne comprends pas pourquoi vous m’avez laissé faire ça! Je suis arrivée en tant qu’étrangère dans votre communauté, et malgré cela, vous m’avez laissé aller de l’avant et faire ce film. » Il a répondu : « Si nous avons fait cela, c’est parce que nous voulons que les gens connaissent notre communauté. » Ça m’a rempli de joie! Cela a démontré mon utilité. Ils m’ont vu arriver dans cet espace, avec quelques compétences, et ils m’ont dit : « Vas-y, parce que c’est quelque chose que nous voulons. » C’est ainsi que j’en suis arrivé là. Encore une fois, un film est accessible; il peut être utilisé à l’université, il peut être vu ailleurs.
Ce film a été présenté au Festival international du film d’Irvine en Californie. Les gens ont vu ce que font les Naskapis, et j’aime cette capacité qu’a le cinéma de dépasser les frontières du monde universitaire.
Enfin, je crois savoir que vous travaillez actuellement sur un film consacré aux rodéos et aux femmes qui y travaillent dans l’ombre. Que pouvez-vous nous dire sur ce documentaire, jusqu’à présent, et sur la manière dont vous vous êtes intéressée aux phénomènes culturels et sportifs?
Ma vie a été un ensemble d’expériences très intéressantes. J’ai épousé un cowboy de rodéo. Il allait reprendre une entreprise de rodéo avec un de ses amis, ainsi qu’un bailleur de fonds qui disposait d’un peu d’argent pour acheter l’équipement. Pour l’aider à payer les factures, pendant qu’il mettait en place l’entreprise de rodéo, j’enseignais toute la semaine. Finalement, j’ai travaillé avec l’Université de Colombie-Britannique et le Programme de formation des enseignants indiens. La fin de semaine, c’était le rodéo, alors je conduisais la remorque avec tout l’équipement au rodéo et j’emmenais certains des enfants de l’école dont les familles travaillaient au rodéo. J’ai effectué tous les types de travaux que vous pouvez imaginer : nourrir le bétail, du secrétariat, toutes sortes de tâches en coulisses.
D’une certaine manière, j’ai été un peu désillusionnée parce que les gens qui sont reconnus dans le rodéo sont les garçons qui portent des boucles de ceinture. Les gens voient les concurrents. Parfois, ils remarquent qu’il y a une femme qui fait des courses de barils et qui ressemble à certains égards aux garçons. En réalité, comme beaucoup d’autres institutions, les rodéos emploient toutes sortes de femmes : elles nourrissent le bétail, élèvent les chevaux de course, s’occupent des enfants et des chevaux, nourrissent et conduisent tout le monde, etc. Ce travail est invisible, et j’ai pensé qu’il serait intéressant de faire un film qui rendrait hommage à ces femmes. Je reste en contact avec des gens du monde du rodéo et je leur ai fait part de cette idée.
Ce qui est intéressant avec le rodéo, c’est qu’il s’agit d’une très petite culture, d’une très petite communauté. Malgré une absence de 20 ans, tout le monde sait qui je suis et qui sont mes enfants. Ils veulent savoir ce que font mes enfants. Mon défunt ex-mari a été admis au Temple de la renommée des professionnels du rodéo canadien. Tout le monde sait qui il est, même s’il est décédé et qu’il n’est plus là. C’est une petite culture très intense. Aussi, lorsque j’ai évoqué la possibilité de ce film à certaines femmes que je connaissais, et à certaines femmes que j’ai rencontrées lorsque je suis retournée voir des rodéos, elles ont été très enthousiastes. Et je dois dire que certains cowboys l’étaient aussi. Ils ont dit : « Il y a longtemps que cela aurait dû être fait. Ces femmes — celles qui font ce travail — doivent être reconnues. »
J’ai fait deux tournages jusqu’à présent. Je ne sais même pas combien de personnes j’ai interrogées, mais l’été dernier, j’en ai rencontré plusieurs. J’ai probablement fait 15 entrevues, je crois, et plusieurs séquences dans des rodéos, dans le ranch d’une femme qui élève des chevaux d’élite, et dans les maisons et les lieux de diverses personnes. Je vais passer la majeure partie de l’hiver à visionner ces images et à décider des lacunes à combler, puis j’effectuerai au moins un autre tournage l’été prochain, avant de passer à la postproduction. Je pense que je suis en quelque sorte en postproduction maintenant, parce que je regarde des films que nous avons déjà tournés.
Comment avez-vous commencé à participer à des rodéos?
Je suis arrivée par hasard dans le monde du rodéo, mais ce qui m’a vraiment attiré, ce sont les chevaux. J’ai eu des chevaux toute ma vie. Je n’en ai pas pour l’instant, mais j’aime les chevaux. Au début, j’étais réticente à l’idée de participer à un rodéo, car je me disais, comme beaucoup de gens, « Oh, c’est tellement cruel! » Et « Ces pauvres animaux », et ainsi de suite. Mais ensuite, j’ai appris à connaître ces chevaux. Les chevaux de selle sont des athlètes extraordinaires. S’ils ne sont pas athlétiques, ils ne rueront pas. Ils rueront quelques fois, puis ne voudront plus continuer. Quelque chose comme « Je ne veux pas être un marathonien, je vais manger mon foin et laisser quelqu’un me monter ». Les chevaux de selle eux-mêmes sont des esprits charmants, libres et indépendants. Certains d’entre eux sont très dociles et gentils jusqu’à ce qu’on leur mette une personne sur le dos, et alors ils disent : « Non, je ne ferai pas ça. » J’aime donc beaucoup cette partie d’eux. Et j’adore les chevaux. C’est ce qui m’a amenée au rodéo, avec l’homme que j’ai épousé.
Je suis très intéressée par le dernier film que vous préparez sur les rodéos. Je n’ai qu’une idée stéréotypée des rodéos, l’idée de cowboys sur des chevaux. Pouvez-vous me parler du travail en coulisses auquel vous et d’autres femmes participez? Est-ce que c’est comme s’occuper d’un cheval de concours?
Les chevaux de rodéo ne sont pas des chevaux de concours. Oui, les chevaux doivent être nourris et abreuvés tous les jours, et ils doivent être nourris et abreuvés après le rodéo. Ils ont fait leur travail et quelqu’un doit s’assurer qu’ils sont nourris et abreuvés, car ils seront probablement là un jour de plus. Mais les chevaux eux-mêmes, lorsqu’ils ne sont pas au rodéo pendant la semaine, sont en liberté dans un grand champ. Un endroit où ils peuvent courir librement. Ils ne sont pas coincés dans de petits box où on les fait tourner vingt minutes par jour. Ils se déplacent en liberté et en troupeau, comme le font les chevaux. Ils sont en quelque sorte proches de leur état naturel. C’est donc par là que nous pourrions commencer. Lorsque les chevaux sont en liberté dans un champ, c’est un champ assez grand, car il y en a trente ou quarante. Il faut aller les chercher. Il faut les rassembler. Il faut les faire venir. L’une de mes tâches consistait donc à accompagner les autres cowboys.
Nous gardions les chevaux dans un très grand ranch appelé Douglas Lake Ranch qui avait des centaines d’hectares. Les chevaux étaient là, puis c’était l’heure du rodéo, alors nous devions sortir. Nous étions trois ou quatre à cheval, et nous partions à leur recherche. Ils se cachaient entre les arbres, et il fallait les chercher partout et tous les rassembler, parce qu’ils devaient tous venir. Et ce qui est vraiment passionnant, c’est qu’une fois qu’ils se déplacent en troupeau — ce ne sont pas des vaches, ils se déplacent rapidement — quelqu’un doit être à l’avant, par exemple, s’ils franchissent un portail. Il y a toujours une jument de tête, et si vous contrôlez la jument de tête, tous les chevaux iront là où vous voulez.
Je me souviens d’un jour au ranch où c’était moi qui devais m’occuper de la jument de tête. Je montais donc mon cheval à 100 milles à l’heure et, avec la jument de tête, nous sommes arrivées au portail par lequel tous les chevaux devaient passer. Ma jument a tourné dans l’autre sens et ils l’ont tous suivie. Nous avons dû revenir en arrière et les rassembler à nouveau pour les faire avancer. C’était la partie vraiment plaisante. J’adore cette partie, même si elle est effrayante — vous allez à 100 milles à l’heure.
Le travail consistait donc à pourchasser les chevaux et à charger les chevaux, les bœufs et les taureaux dans les camions. Les taureaux sont féroces, il faut donc les surveiller. En même temps, ils comprennent ce qu’est leur travail, ils comprennent ce qui se passe. Ils n’ont donc pas tendance à être grincheux en permanence. Mais il faut faire attention. Ils sont gros et s’ils commencent à se pousser et à se bousculer, ils peuvent vous écraser assez facilement.
« Lorsque j’ai évoqué la possibilité de ce film avec certaines des femmes, elles ont été très enthousiastes. Et je dois dire que certains cowboys l’étaient aussi. Ils ont dit : “Il y a longtemps que cela aurait dû être fait. Ces femmes — celles qui font ce travail — doivent être reconnues.” »
Celia Haig-Brown
Une fois les chevaux rassemblés, vous devez les faire monter dans les camions. Je n’ai jamais conduit les gros camions parce que j’avais suffisamment de travail et que je pensais que si je conduisais ce camion une fois, je finirais par le conduire souvent et je n’en avais pas vraiment envie. Je ne l’ai jamais fait. C’est l’un des gars qui travaillaient pour nous qui conduisait le camion. Une fois arrivés au rodéo, les animaux doivent être triés, mis dans des enclos précis pour être prêts à aller dans les couloirs et montés par les gars.
Et comme il s’agit d’un spectacle, tout doit être minutieusement chronométré. Il faut s’assurer que les chevaux sont en place pour que les cowboys puissent monter et que le public puisse assister à un spectacle. Parce que les gens peuvent piétiner pendant une éternité. Les chevaux peuvent piétiner. Tout cela peut arriver. Je participais souvent au tri du bétail. Celui-ci va dans la section 1, celui-là dans la section 2, celui-là dans la section 3… Cela signifie qu’il faut déplacer les barrières et tout un ensemble d’enclos sur le site du rodéo lui-même.
L’autre chose dans laquelle je me suis vraiment impliquée, c’est le secrétariat du rodéo. Il existe désormais un système d’entrée central informatisé, qui simplifie grandement les choses. Mais à mon époque — au bon vieux temps! —, nous allions dans la ville où se déroulait le rodéo le jeudi soir. Les cowboys de tout le Canada téléphonaient au bureau d’inscription du rodéo et il fallait prendre leur nom et noter le jour où ils voulaient monter leur bête. Si c’était un rodéo du samedi/dimanche, ils voulaient parfois venir le samedi afin de pouvoir participer à un autre rodéo le dimanche. Il fallait noter les événements auxquels ils voulaient participer, etc. Toutes ces informations étaient inscrites sur ces petites cartes et le lendemain, le vendredi, vous triiez les formulaires d’inscription et dressiez la liste de tous les cowboys qui allaient monter des chevaux à cru, ou monter des broncos ou des taureaux.
C’est alors que le contrôleur des bêtes entrait en jeu. C’était le rôle de mon ex-mari avec les différents animaux qui allaient être là, et il fallait faire un tirage au sort. Nous avions littéralement une boîte de conserve avec les noms des chevaux. Je disais le nom d’un homme, ils tiraient le nom d’un cheval dans un chapeau, et les deux étaient jumelés. Ensuite, il fallait préparer un programme pour les personnes qui allaient venir au rodéo le lendemain.
Puis, les cowboys arrivaient; ils devaient payer leur entrée, et il fallait tenir des comptes de cet argent.
Oh, et il ne faut pas oublier les juges! Il y a des juges, des cartes. Les juges ont chacun une carte sur laquelle ils indiquent le nom de l’homme et du cheval — la personne à cheval est généralement un homme. Chaque candidat se voit attribuer une note totale sur cent. Il faut gérer ces cartes, s’assurer qu’elles ont bien été additionnées, puis voir qui a gagné. Une fois cette étape franchie, il faut répartir les prix, ce qui est compliqué, car les distributions dépendent du montant des prix. Il s’agit d’un certain pourcentage pour le premier, le deuxième, le troisième, etc. On additionne les frais d’inscription, les prix et on les distribue. À l’époque, nous faisions des chèques et à la fin du rodéo, le patron du comité du rodéo, le responsable local, voulait s’assurer que tout l’argent avait été dépensé.
Et aussi, à un moment donné, il faut nourrir les chevaux. è le rodéo du samedi, il faut s’assurer qu’ils ont de l’eau et de la nourriture et le dimanche soir, c’est le temps de rentrer à la maison. Nous chargions donc la remorque, ou tout autre véhicule, et nous rentrions à la maison.
Je m’impliquais vraiment beaucoup avant d’avoir des enfants. Quand mes enfants étaient en bas âge, je m’impliquais moins. Je faisais le secrétariat, mais je m’impliquais moins dans l’organisation. Lorsque j’ai eu deux bébés d’affilée, j’ai pris une année de congé, mais à part cela, j’ai travaillé. J’ai également travaillé dans le cadre du programme de formation des enseignants pendant cette période. Alors oui, c’était compliqué, et parfois après avoir eu mes enfants, je restais à la maison la fin de semaine pour m’occuper des chevaux ou des taureaux qui n’allaient pas au rodéo. Je devais les nourrir : avec mes trois enfants, nous descendions pour leur donner foin en veillant à ce que les petits n’entrent pas dans l’enclos des taureaux.
Je suppose que vos enfants aiment aussi les chevaux.
Oui, ce sont des enfants du rodéo. Plus tard, j’ai quitté mon rodéo, mon mari, et je suis retournée faire mon doctorat. J’ai emmené mes trois enfants à Vancouver. Ils me racontent encore aujourd’hui que cela a été très dur pour eux, parce qu’ils avaient l’impression d’être des enfants de rodéo, qu’ils se retrouvaient soudain en ville, et qu’ils devaient s’adapter. Mais je pense que cela leur a été bénéfique, car ils ont appris, ils ont un emploi et ils s’en sortent bien. Mais ils parlent de la difficulté de cette transition — et de temps en temps, ils vont au rodéo. Les gens les connaissent. « Comment allez-vous? » « Comment vont vos enfants? » « Heureux de te voir! » « Comment va ta mère? »
L’une des questions que je pose aux gens dans ce dernier documentaire est : « Qu’est-ce qui vous fait revenir? Pourquoi faites-vous cela? » Parce que c’est une vie vraiment difficile. Je veux dire que je parle avec beaucoup de joie de faire courir ces chevaux, mais si votre cheval trébuche et tombe, vous tombez. Il ne s’agit pas de courir dans une arène joliment entretenue. Cela peut être dangereux et c’est une vie difficile à bien des égards. C’est une culture à part entière. Les gens connaissent tout le monde. Ils se connaissent entre eux. C’est un tout petit monde.
Alyssa Ramos est étudiante en troisième année à l'Université appdans le programme de sciences politiques, plus précisément au Collège Glendon. En tant qu'apprentie chercheuse dans le cadre du programme d'apprentissage de la recherche, elle s'intéresse aux effets des individus sur le monde et à l'impact de leurs efforts sur les groupes qu'ils cherchent à aider. Grâce à sa formation en sciences politiques, elle tente de comprendre l'impact du capitalisme sur la société et les échecs des pays développés dans le Sud. Elle souhaite poursuivre ses études après avoir terminé son programme de premier cycle en obtenant un master en politique publique, administration et droit afin de continuer à approfondir sa compréhension des effets des politiques capitalistes sur la société.